« Si nous avons besoin d’histoire, c’est pour vivre et pour agir, non pour nous retirer nonchalamment de la vie et de l’action, ou encore pour enjoliver une vie égoïste et l’action lâche et mauvaise », écrivait Friedrich Nietzsche, dans sa Seconde considération intempestive. Cette réflexion éclaire l’élan qui, le 18 octobre 1817, réunit des centaines d’étudiants au château de Wartburg, dans un sursaut de révolte contre un ordre figé, pour demander l’unification des territoires germaniques. Loin de se résigner à une histoire perçue comme une fatalité, ces jeunes esprits, portés par un idéal d’unité et de liberté, ont fait de ce lieu emblématique le théâtre d’une rébellion intellectuelle et spirituelle. La Wartburgfest, qui marque le quatrième anniversaire de la « Bataille des Nations ». La bataille de Leipzig, les 16 et 19 octobre 1813, appelée à cette époque bataille de Leipsick, aussi connue comme la « bataille des Nations », est une des plus importantes qui ait été livrée au cours des guerres napoléoniennes. Après l'échec catastrophique de la campagne de Russie de 1812, elle oppose une Grande Armée en partie reconstituée aux forces de la Russie, mais aussi de la Prusse, de l'Autriche et de la Suède qui a rejoint la Sixième Coalition contre Napoléon. Le tricentenaire des 95 thèses de Luther, s’inscrit également comme un acte de foi pour une Allemagne unifiée et libérale, et constitue un véritable cri de la jeunesse contre l’ordre oppressant du Congrès de Vienne.
Un contexte de désillusion et d’aspiration
À l’aube du XIXe siècle, l’Allemagne postnapoléonienne, n’existe pas en tant que telle. Avant les conquêtes napoléoniennes, existait le Saint-Empire Romain Germanique, qui, en 1817 est devenu, un assemblage, de principautés désunis, une confédération affaiblie où l’élan des Lumières et des idéaux révolutionnaires s’éteignent sous le poids d’une technocratie autoritaire. Les universités, jadis foyers de l’esprit libre, se muent en guichets administratifs, formatant des fonctionnaires dociles plutôt que des hommes libres. Dans les amphithéâtres, la tiédeur sociale et intellectuelle étouffe les âmes. Face à cette dérive, une jeunesse ardente refuse de plier. Ces étudiants, héritiers des idéaux du philosophe Johann Fichte, pour qui la nation est avant tout une idée, un esprit, s’élevant contre la balkanisation de la patrie et l’absence de réformes démocratiques.
Le mouvement des Burschenschaften, né à l’université d’Iéna le 12 juin 1815, incarne cette révolte. Ces sociétés étudiantes, apparues dans le sillage des guerres napoléoniennes, portent l’ambition d’une Allemagne unifiée et d’une presse libre. À Iéna, Heidelberg, Leipzig, elles tissent un idéal romantique et philosophique, mêlant les figures d’Arminius, héros de la forêt de Teutoburg, et de Luther, réformateur historique. Leur rêve : un État national doté d’une constitution libérale, où l’esprit de la nation s’incarne dans une communauté vivante et fière de son unité allemande.
La Wartburgfest : un symbole de résistance et de communion
Le choix du château de Wartburg comme théâtre de cette fête n’est pas anodin. Lieu de refuge de Luther après son excommunication, où il traduisit la Bible en allemand, ce haut lieu de la Réforme symbolise l’insurrection contre un système figé, c’est un lieu constitutif de l’identité nationale allemande. En 1817, trois siècles après que Luther y eut défié l’autorité papale, la Wartburg devient le creuset d’une nouvelle révolte. Le 18 octobre, éphéméride de la « Bataille des Nations », plus de 500 étudiants se réunissent pour une fête qui s’étend jusqu’au lendemain soir. Ce n’est pas seulement une célébration, mais un acte militant, une communion dans l’ivresse et la ferveur, où, comme aiment à le répéter les étudiants de la Cocarde « boire, c’est avant tout militer ».
La Wartburgfest est un défi lancé à l’ordre du Congrès de Vienne, une proclamation de l’unité allemande, l’affirmation des velléités, et de l’aspiration à une constitution. Les étudiants, en chantant Arminius et Luther, invoquent une mythologie du réveil national, où l’histoire n’est pas un fardeau, mais une force vive pour agir. Boire, rire, chanter : ces gestes, loin d’être frivoles, sont une forme de militance, une manière de redonner du cœur à l’ouvrage. Comme le dira plus tard Orwell, « les gens ne se révolteront que lorsqu’ils seront devenus conscients, et ils ne pourront devenir conscients que lorsqu’ils seront révoltés ». La Wartburgfest incarne ce cercle vertueux : une révolte qui éveille les consciences, une conscience qui nourrit la révolte.
Un héritage durable, une ambition renouvelée
La Wartburgfest de 1817 n’est pas un événement isolé. Elle marque le début d’un mouvement qui culminera lors de la révolution allemande de 1848, où une seconde fête viendra raviver l’élan unificateur. Les Burschenschaften, malgré leur interdiction pendant la Seconde Guerre mondiale, renaîtront en 1950 en République fédérale d’Allemagne, témoignant de la pérennité de cet idéal. Ces sociétés étudiantes, nées dans le tumulte post-napoléonien, ont su incarner une aspiration à l’unité nationale et à la liberté, défiant les forces de la division et de l’oppression.
Conclusion : une flamme inextinguible
La Wartburgfest de 1817 reste un symbole éclatant de la puissance de la jeunesse nationaliste à défier l’inertie et à rêver un avenir plus grand. Dans l’ombre du château de Wartburg, ces étudiants ont fait de l’histoire non pas une fatalité, mais un levier pour l’action pour le futur de leur Nation. Leur cri pour l’unité et la liberté, porté par la rage et le cœur, résonne encore comme une invitation à ne jamais céder à l’apathie. Ils nous rappellent que l’histoire, lorsqu’elle est saisie avec courage, devient une force de création, capable de transformer les âmes et de bâtir des nations. En cela, cet évènement mérite de demeurer dans la mémoire de la jeunesse patriote.
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