La violence rouge : enquête sur un terrorisme occulté

En décembre 2023 a eu lieu dans un quasi-silence médiatique la première condamnation d’un groupe d’extrême gauche pour terrorisme depuis 30 ans. Si cette affaire, dite « du 8 décembre », est une des plus graves de ces dernières années – les protagonistes s’entraînaient au combat et fabriquaient des explosifs – elle n’est cependant que le symptôme d’un phénomène bien plus grave : la réémergence du terrorisme d’extrême gauche.

Le terme peut surprendre, après deux décennies marquées par un djihadisme d’une violence sans équivalent qui nous a conduit à minorer les autres types de terrorisme, moins meurtriers et moins équipés. En effet, le Code Pénal définit l’acte terroriste comme une « entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur » pouvant se caractériser, entre autres, par des dégradations, destructions et atteintes à l’intégrité des personnes. L’extrême gauche se caractérisant principalement par sa volonté de terroriser son opposition et de remettre en cause l’ordre public, c’est surtout l’adverbe « gravement » qui importe pour qualifier les faits. Cela ne suffit cependant pas à expliquer l’absence de condamnation pendant 30 ans, alors même que les actes graves et coordonnés se multiplient.


Individus formés à l’usage des explosifs

Si les explosifs sont plutôt l’apanage des mouvements anarchistes italiens et grecs, l’affaire du 8 décembre montre bien que cette menace reste présente en France. Le groupe du 8 décembre s’était formé autour de la figure de Florian D., combattant revenu du Rojava et formé au maniement des armes, dont le profil est loin d’être rare dans la mouvance d’extrême gauche. Ces dernières années, deux anarchistes – dont une Française – accusés d’être impliqués dans des attentats en Italie ont été arrêtés sur le territoire français. En parallèle, d’anciens terroristes d’extrême gauche des années de plomb sortent de prison et sont accueillis en héros par l’extrême gauche française, à l’instar de Jean-Marc Rouillan (Action directe). Tous ces profils sont autant de formateurs potentiels ou d’inspirations idéologiques pour la nouvelle génération de gauchistes, qui les fréquentent et les respectent.

De fait, pour l’instant, les attaques d’extrême gauche à l’explosif sont très rares en France. Il est toutefois possible de recenser la bombe artisanale ayant explosé devant la porte du local de l’Action française – groupe royaliste – à Marseille en 2017 (le journal La Provence, toujours complaisant avec la gauche, parlera de « bombinette ») et quelques autres explosifs de faible puissance parfois utilisés en manifestation ou contre le chantier de l’A69. L’attaque la plus grave dans ce domaine reste l’explosion d’un local de l’usine Volvic dans le Puy-de-Dôme en 2024, qui avait causé plusieurs jours d’arrêts de la production et dont les auteurs n’ont jamais été attrapés, comme souvent. Difficile néanmoins de savoir si l’explosion est due à un explosif ou à l’incendie du matériel électronique du local. La marque de fabrique de l’extrême gauche française reste globalement l’incendie volontaire : plus simple, moins risqué et moins coûteux.


Incendies en série
Ces derniers mois ont été marqués par l’incendie de nombreux matériels et voitures Tesla, suite au ralliement d’Elon Musk à Donald Trump, mais aussi par des attentats revendiqués par des groupuscules en Occitanie (destruction d’un McDo) et en Bretagne (incendie de deux bâtiments de coopératives agroalimentaires, menaces contre Bret’s). En janvier 2024, une douzaine de militants d’extrême gauche sont arrêtés à proximité d’un centre de rétention administrative qu’ils s’apprêtaient à prendre d’assaut, armés de cocktails Molotov. La même année, l’extrême gauche tente d’incendier l’ISSEP, école de Marion Maréchal, le local du Parti socialiste est incendié à Carhaix. Sur le plateau des Millevaches, les attaques de l’extrême gauche ont visé de nombreuses cibles dont une caserne de gendarmerie et des entreprises, à tel point que le conseil municipal d’Aubusson a voté la dissolution de la communauté de communes de Creuse Grand Sud, devenue « une terre de non-droit ». Dans le Rhône, des dizaines de mètres carrés d’un centre des impôts sont ravagés par les flammes. A Aubenas, ce sont les locaux de l’Office national des forêts qui sont incendiés, tandis que le chantier du métro de Toulouse et de l’A69 sont visés par des dizaines d’attaques et qu’en Loire-Atlantique le groupuscule « Action directe anarchiste » revendique pas moins de 5 attaques en 2020.

La série d’attaques la plus impressionnante a lieu à Grenoble : le procureur de la République y décompte « un attentat de l’ultragauche tous les six mois » de 2017 à 2025, tous revendiqués. Des dizaines de véhicules et près de 200 bornes de validation de tickets de tramway sont détruits, des entreprises et des gendarmeries sont incendiées, tout comme le CCSTI de Grenoble, de multiples grandes surfaces ou encore les locaux de France Bleu Isère et l’église Saint-Jacques. Deux attentats se distinguent par leur gravité : l’incendie de l’hôtel de ville de Grenoble, dont la salle du conseil municipal, et celui du pont de Brignoud qui le mettra hors-service et nécessitera la construction d’un nouveau pont. Contacté à chaque fois par le procureur, le parquet national antiterroriste a toujours refusé de se saisir du sujet : pourquoi s’en faire, puisque même le gouvernement et les médias sont indifférents ? 

Sabotages massifs

Les attaques d’infrastructures par l’extrême gauche se sont aussi démultipliées et sont devenues monnaie courante : on ne compte même plus les sabotages d’antennes de télécommunications et autres réseaux de fibre optique depuis 2017. En 2021, le ministère de l’Intérieur en dénombrait 174 en un an. Ceux-ci privent généralement d’internet ou de télévision des dizaines de milliers d’habitants, et parfois bien davantage : 800 000 personnes ont été touchées par l’incendie d’une antenne en Saône-et-Loire en 2024 et 1,5 millions l’ont été à Limoges en 2021. Cette année, l'extrême gauche a coupé l'électricité de 200 000 foyers dans les Alpes-Maritimes en sciant le pylône d'une ligne à haute tension (mode opératoire déjà testé dans le Loiret) pour perturber le festival de Cannes. Quelques mois plutôt, des sabotages étaient revendiqués contre les lignes à grande vitesse de Lyon et Toulouse

Habituée des actions localisées, l’extrême gauche a finalement frappé toute la France pour la première et deuxième fois lors des Jeux Olympiques 2024 en sabotant successivement les lignes de TGV puis, quelques jours plus tard, les réseaux de fibre optique dans 6 départements différents. Comme dans la large majorité des cas cités ici, aucune interpellation ou condamnation n’ont eu lieu.

Silence politico-médiatique

Bien qu’il n’y ait pas encore eu de morts, l’extrême gauche est aussi coutumière de la violence interpersonnelle – largement recensée par l’Observatoire des violences politiques – et se tourne de plus en plus vers les attaques armées. Ainsi, sans susciter le moindre émoi politique ou médiatique, des militants de la Cocarde Étudiante ont été successivement attaqués au couteau et menacés avec un pistolet – l’arme à feu, après expertise, s’est heureusement avérée factice – en moins de six mois.

Même les attentats les plus graves, rapidement traités comme des faits divers par la presse nationale, ne sont ni suivis ni analysés par les journalistes. Il est probable que vous n’ayez jamais entendu parler des attaques listées dans cet article, y compris les plus graves. Elles n’ont en effet pas bénéficié de la même couverture médiatique que d’autres actualités – ô combien importantes – comme la rentrée politique de Louis Sarkozy ou l’énième tribune contre le wokisme. La sphère politique ne semble pas non plus vouloir s’emparer du sujet, qui pourtant représente une tendance de fond qui devrait susciter l’inquiétude de tout observateur avisé : l’extrême gauche se radicalise, gagne en confiance et en expérience, et se restructure autour de l’action violente.

Côté justice, la situation n’est guère plus engageante : les enquêtes piétinent, quand il y en a, et les auteurs de toutes ces attaques restent globalement impunis. Lorsqu’ils sont arrêtés, la gauche institutionnelle et associative se mobilise pour les défendre. Pire encore, hors rares exceptions, le parquet national antiterroriste n’ose plus se saisir des faits d’extrême gauche depuis l’humiliation subie lors de l’affaire de Tarnac, aggravant ainsi l’impunité des activistes radicaux qui démultiplient les actions.

Ces derniers mois, les communiqués d’extrême gauche en soutien au groupe terroriste DDPF qui attaque des prisons, tire à l’arme automatique sur des habitations et menace les familles des surveillants pénitentiaires montrent que nous avons franchi une étape supplémentaire vers une guerre ouverte, assumée, de l’extrême gauche contre la France. Il est plus que temps de se réveiller, avant un retour des années de plomb.